Notre Constat: un besoin urgent d’un réseau de femmes journalistes

 

 

Lors de la création du réseau Journalista en 2020, les membres fondatrices ont dressé un constat sur les questions d’égalité de genre dans les médias suisses. Ce constat est à la racine de notre réseau. 

 

 

Les affaires de harcèlement qui secouent la RTS font trembler tous les médias suisses. La parole se libère et un manque d’écoute des victimes apparaît. Les témoignages anonymes venant de toutes les rédactions affluent sur le compte Instagram #SwissMediaToo, déjà suivi par 6000 personnes.

 

 Un collectif d’avocats a été mandaté par la RTS pour faire la lumière sur le passé et recueillir les témoignages d’employé.e.s et ex-employé.e.s. Preuve du malaise, comme le rapporte un reportage de Mise au Point diffusé le 22 novembre 2020, en moins de deux semaines plus de 120 personnes ayant travaillé ou travaillant à la RTS se sont déjà manifestées pour témoigner.                             

 

 

 

 Rien de nouveau

 

 Les faits dénoncés ne sont malheureusement pas nouveaux. Dès 2014, le syndicat SMM avait déjà été saisi par une dizaine d’employé.es de la RTS dénonçant le harcèlement et mobbing d’un cadre, explique Mise au Point. La direction avait été informée, une enquête ouverte, sans suite. 

 

 Depuis 2017, le mouvement #MeToo a contribué à faire la lumière sur les inégalités entre les femmes et les hommes et les niveaux élevés de sexisme, de harcèlement sexuel et de violence dans divers domaines, y compris les médias.

 

 En juin 2019, le groupe Tamedia envoie un sondage à 3429 journalistes des médias suisses: 755 personnes y répondent dont seulement 45% de femmes.

 

 Malgré ce taux de participation, il ressort que 50% des journalistes féminines ont déjà été harcelées sur leur lieu de travail par leurs supérieurs, collègues, hommes politiques ou consultants. En 2017, une enquête menée par la Fédération internationale des journalistes (FIJ) arrive au même résultat.

 

 L’enquête de Tamedia publiée à la suite du sondage fait entendre la voix des victimes, des jeunes femmes et des stagiaires pour la plupart. Près de 3/4 des victimes qui donnent une date pour ces faits ont moins de 35 ans et sont en début de carrière. Cela explique-t-il que seules 7,5% des femmes harcelées ont fait remonter l’information à médiateur externe ou à la police?

 

 En 2019, une étude sur les “Violences Sexuelles” d’Amnesty International Suisse réalisée sur un panel de 4495 femmes de plus de 16 ans en 2019 a étudié la situation des femmes journalistes. Elle arrive à un constat encore plus inquiétant: 61% des femmes âgées de 16 à 39 ans sont exposées à des commentaires gênants sur leur apparence physique sur les nouveaux médias (cela est aussi valable pour les journalistes qui “doivent” beaucoup communiquer sur les réseaux) et que 33% des femmes interrogées ont été harcelées sur leur lieu de travail.

 

 

 

Les victimes dénoncent: du harcèlement verbal, des remarques salaces, des propos sexistes, des blagues à caractère sexuel, voire du harcèlement avec contact physique (attouchements des seins ou des fesses) ou encore du harcèlement criminel (messages, emails).

 

 

 

Un problème systémique

 

Ces violences dans les médias n’épargnent pas les hommes. Elles touchent davantage les femmes car elles prennent racine dans une culture d’entreprise qui assigne traditionnellement aux femmes les places subalternes, observent des chercheuses de l’UNIL.

 

 En 2015, le projet mondial de monitorage des médias a établi que les femmes ne sont que 24% des personnes entendues à la radio, citées dans la presse écrite et vues à la télévision; en Suisse également. Les résultats du prochain monitorage sont attendus début 2021.

 

 Moins d’un expert ou commentateur sur cinq était une femme en Europe (18 %), soit près de la moitié de la même donnée en Amérique du nord (32 %).

 

 Les femmes sont aussi beaucoup plus susceptibles d’écrire des articles en ligne à propos de la science/santé (46 %) des questions sociales/juridiques (42 %) que sur la politique (37 %) ou les questions criminelles (33 %); on retrouve ici la division entre l’espace privé et l’espace public ainsi qu’un enfermement des femmes journalistes dans le “care”.

 

 

 

Le pire exemple est celui du sport où seules 4% de femmes sont dans les médias, alors que 40% de la population féminine pratique un sport, selon l’UNESCO.

 

 Le GMMP en conclut que les femmes «sont invitées à s’exprimer en tant que personnes privées et non en raison de leur expertise et de leur parcours professionnel, ce qui les repousse une fois de plus dans la sphère privée, les hommes dominant la sphère publique plus prestigieuse et «importante» des expert.e.s et des portes-parole».

 

 En 2018, l’Observatoire européen du journalisme (EJO) a réalisé une étude dans onze pays. Il met en lumière une prédominance des hommes dans l’élaboration et la couverture de l’agenda de l’information malgré le fait que les femmes représentent près de la moitié du nombre de journalistes.

 

 L’an dernier, un rapport de l’Union européenne de Radio-Télévision – dont fait partie la SSR – a démontré l’ampleur du problème au sein de l’industrie des médias: les femmes représentent 44% des salarié.e.s et seulement 25% des postes dirigeants auprès de ses membres, et 32% au sein même de son siège.

 

 En Suisse, 60% des femmes travaillent, elles représentent 34% des équipes de recherche publique et 42% des femmes de 25-34 ans ont un diplôme supérieur. Pourtant lorsqu’elles apparaissent dans les médias, les femmes semblent souvent sans emploi. Un homme apparaîtra publiquement avec et pour sa profession, alors qu’une femme sera mise en avant car elle est la mère ou l’épouse de quelqu’un.

 

 Lorsqu’une personnalité féminine accède à un rôle public, les médias titrent régulièrement uniquement avec son genre – ex: “une femme devient CEO” –  plutôt qu’avec son nom et son identité – “Lea Favre devient CEO”.

 

 

 

A cela s’ajoutent évidemment, les différences de salaires. Aucune étude détaillée existe sur le monde des médias. Cependant, l’écart salarial entre les femmes et les hommes dans les secteurs public et privé était encore de 11,5% en 2018.

 

 

 

Un fait divers et sans intérêt ?

 

 Le GMMP observe un faible intérêt des médias pour les questions d’égalité entre les femmes et les hommes. En 2015, seuls 5% des reportages abordaient la question de l’égalité entre les femmes et les hommes et 3% remettaient en cause les stéréotypes de genre.

 

Un récent rapport de DécadréE sur le traitement médiatique des violences sexistes (septembre 2020) analyse 1120 articles sur 12 mois. Il observe que 449 des articles, soit plus 1 par jour, véhiculent des mythes autour des violences. Parmi eux,  7% (soit 1 par semaine) participent à justifier les violences et la culture du viol. Les articles concernés sont: des faits divers, des informations people, des chroniques judiciaires.

 

 

 

Des solutions existent

 

La parité est possible. C’est que démontre le projet 50:50 lancé en avril 2018 par la BBC. Lors du dernier challenge organisé en avril 2019, plus de 500 programmes ont participé en suivant et en contrôlant le nombre de femmes et d’hommes interrogés dans leur émission. 74% des programmes qui avaient démarré dès le lancement ont atteint la parité.

 

Le 14 juin 2020, Heidi.news a lancé avec l’aide de l’EPFL et de Google Digital News Innovation Fund, un Gender Tracker. Un algorithme entraîné par le lectorat pour atteindre une plus grande égalité de la représentativité de genre et équilibrer la voix des hommes et des femmes dans les médias.

 

Le 4 décembre dernier, le média en ligne a publié ses premiers résultats: en 2020 28% des femmes ont été citées sur Heidi.news, soit une progression de 4 points par rapport au monitorage des médias GMMP de 2015 (et dont les prochains résultats sont attendus au printemps 2021).

 

Après une introspection, en janvier 2018, qui signalait que seulement 4% des femmes ont écrit et signé des éditoriaux durant le mois – 16% en moyenne sur l’ensemble de l’année 2017 – le journal Le Temps s’est s’engagé pour l’égalité homme-femme. En 2020, le chiffre a progressé, atteignant 21% d’éditoriaux signés par des femmes à ce jour.

 

Le rapport du Conseil de l’Europe recense également de nombreuses bonnes pratiques mises en place dans les médias. Autant de preuves que le changement et plus d’équité sont possibles.

 

LG / JA